Principes d'aménagement des cours d'eau

2.2.1.1. Qu’est-ce que la biodiversité ?
 
Le terme « biodiversité » est largement utilisé mais englobe souvent des réalités différentes. On entend généralement par « biodiversité », la diversité de toutes les espèces vivantes. Il englobe également la diversité des écosystèmes et la diversité génétique. L’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) définit la biodiversité comme « la variabilité entre les organismes vivants provenant de toutes origines, notamment des écosystèmes terrestres, marins et aquatiques ainsi que les complexes écologiques dont ils font partie ; cela comprend la diversité au sein des espèces, entre les espèces et celle des écosystèmes ». On peut ainsi appréhender la biodiversité à trois niveaux : génétique, spécifique et écosystémique
 
La diversité génétique concerne la variabilité génétique au sein d’une même espèce. Elle offre aux individus qui la composent des aspects et des caractéristiques différents. Elle permet à l’espèce de s’adapter dans un environnement changeant. La diversité des écosystèmes renvoie à la variabilité spatiale des êtres vivants en lien avec les différents milieux qu’ils occupent. 
 
Enfin, plus récemment, la notion de biodiversité fonctionnelle a émergé. Il ne s’agit alors plus seulement de considérer les variabilités spécifiques, génétiques et écosystémiques des êtres vivants, mais aussi de prendre en compte leurs propriétés à agir sur le fonctionnement des écosystèmes, comme la production de biomasse, la protection des sols contre l’érosion, la pollinisation, etc. 
 
 
 
2.2.1.2. Pourquoi préserver la biodiversité ?
 
Les espèces sont en interaction entre elles et avec le milieu au sein des écosystèmes, et dépendent souvent les unes des autres pour assurer leur cycle vital. L’homme dépend ainsi du bon fonctionnement des écosystèmes, qu’il s’agisse de la production de biomasse (aliments, énergie, etc.), du recyclage des nutriments (déchets) ou de la photosynthèse (production d’oxygène). Des travaux expérimentaux et théoriques menés ces dernières décennies ont montré que la biodiversité avait un effet positif sur la production de biomasse des écosystèmes.
 
Fig. 16 - Les avantages écosystémiques des cours d’eau (d’après OFEV).Des chercheurs ont par ailleurs montré une relation positive entre la diversité et la stabilité de la production de biomasse après une perturbation, indiquant qu’un écosystème retrouvera généralement plus facilement ses capacités de production après une perturbation (incendie, sécheresse, destruction, etc.) s’il est diversifié
 
On voit ainsi que le maintien de la biodiversité constitue une garantie pour le fonctionnement des écosystèmes, et qu’il est donc prudent de la maintenir si l’on veut conserver les services fournis par ces écosystèmes. En berges de cours d’eau, ces services sont nombreux, qu’ils soient récréatifs, liés à la dépollution de l’eau, au développement de la vie aquatique ou à la fixation des berges (fig. 16).
 
Parmi les services rendus par les écosystèmes, il faut prendre en compte ceux qui sont avérés, mais également ceux qui peuvent être rendus dans le futur. La biodiversité possède un potentiel futur important en termes biochimique ou génétique, par exemple. La préservation de la biodiversité constitue, en ce sens, une assurance pour l’avenir.
 
Les écosystèmes sont généralement interconnectés et échangent des espèces et des flux de nutriments entre eux. Ainsi, l’altération d’un compartiment va aussi avoir un impact sur les compartiments adjacents. Par exemple, la destruction d’une ripisylve peut interrompre la circulation de certaines espèces, ce qui impacte les échanges de gènes et donc la vitalité des populations, faisant courir un risque de disparition des milieux adjacents. De même, dans un écosystème, les espèces sont en interaction, et la disparition d’une espèce peut entraîner la disparition d’autres espèces associées.
 
Ainsi, si la biodiversité peut être conservée parce qu’elle fait partie de notre patrimoine commun, elle doit aussi l’être parce qu’elle constitue une assurance sur le bon fonctionnement de notre environnement à venir.
 
 
 
2.2.1.3. Les cours d’eau : des zones particulièrement riches en biodiversité
 
Fig. 17 - Calopteryx splendens sur une feuille de Salix purpurea.Les cours d’eau et leurs milieux annexes abritent naturellement une biodiversité élevée. De nombreuses espèces animales et végétales s’y reproduisent, s’y alimentent et s’y réfugient (fig. 17). 
 
Ils constituent des zones d’interface (ou écotones) entre les milieux terrestres et aquatiques et présentent une très grande richesse floristique et faunistique. Si les lacs et rivières n’occupent que 1 à 2 % de la surface des terres émergées, on considère qu’au moins un tiers des vertébrés (poissons, batraciens, reptiles, oiseaux et mammifères) dépendent étroitement de ces milieux pour accomplir leur cycle biologique (Lévêque 1998). Les formations végétales riveraines permettent également l’accueil de nombreux animaux terrestres (mammifères, oiseaux, amphibiens, arthropodes, etc.), soit durant tout leur cycle de vie, soit seulement pendant une période particulière de ce cycle, comme la reproduction ou l’alimentation. Ces zones abritent à la fois des espèces d’oiseaux inféodées aux habitats forestiers ou rupestres et des espèces spécifiques, comme le martin-pêcheur ou le cincle plongeur, qui dépendent pour leur alimentation ou leur nidification de la présence de l’eau.
 
Fig. 18 - Diversité des habitats sur une portion non rectifiée de la Haute Durance (Hautes-Alpes - France).Cette richesse taxonomique particulière s’explique par différents facteurs, notamment par la diversité des biotopes et des structures végétales. En effet, outre son lit mineur et ses berges, le cours d’eau est connecté avec différents milieux annexes (bras morts, zones humides, affluents, terrasses alluviales, ripisylve, etc. – fig. 18).
 
Cette hétérogénéité d’habitats est notamment liée aux différentes conditions de sol (granulométrie, fertilité, hygrométrie, etc.) et à un régime élevé de perturbation déterminé par le régime hydrologique du cours d’eau et les crues qui en résultent. Ce régime est complexe et possède une fréquence élevée. Il est responsable de la création régulière de nouveaux habitats présentant des faciès différenciés empêchant généralement les espèces les plus compétitives de dominer complètement les communautés végétales (Everson et Boucher 1998). 
 
Les crues sont également responsables de l’arrivée de nombreuses espèces végétales par l’intermédiaire de graines qui peuvent germer et de fragments de végétaux qui peuvent se développer par multiplication végétative (propagules). On observe ainsi de véritables pics de diversité spécifique liés à l’arrivée de graines lors des crues qui vont contribuer à diversifier les écosystèmes. Une étude menée à large échelle confirme que les crues et les processus écologiques liés à la présence du cours d’eau ont une importance majeure, alors que la diversité végétale située dans les milieux terrestres à proximité joue un rôle mineur (Renöfält et al. 2005). La comparaison de la diversité végétale de rivières aux crues naturelles et de rivières aux crues régulées par des barrages montre que ces dernières ont une diversité moindre. Cela souligne à nouveau le rôle majeur des crues dans la genèse et le maintien de la diversité des milieux rivulaires (Christer et Roland 1995). 
 
On note aussi que la diversité végétale varie en fonction du rang du cours d’eau. Elle est en effet généralement supérieure dans les cours d’eau de rang intermédiaire alors qu’elle est souvent plus faible dans les parties avales (Nilsson et al. 1989 ; Nilsson et al. 1994 ; Ferreira et Moreira 1999). Enfin, la qualité de l’eau et le degré de perturbation anthropique sont également des facteurs importants.
 
Outre les espèces inféodées aux milieux rivulaires, ces milieux accueillent également les espèces qui y transitent. Les ripisylves jouent ainsi un rôle majeur de corridors biologiques sur les territoires français et suisses qui comptent plusieurs centaines de milliers de kilomètres de cours d’eau. Ces corridors remplissent des fonctions écologiques essentielles et jouent le rôle de vecteurs canalisant les propagules de nombreuses espèces des milieux adjacents. Utilisés comme couloir de migration par de nombreuses espèces, ils créent aussi une continuité en développant des connexions entre des milieux souvent fragmentés. Cela augmente la biodiversité génétique des peuplements en facilitant leur mélange.
 
 
 
2.2.1.4. Des milieux fortement impactés par les espèces végétales envahissantes
 
Fig. 19 - Berge de cours d’eau envahie par les renouées (Reynoutria sp.).Les espèces invasives sont particulièrement dynamiques sur les berges de cours d’eau (fig. 19), notamment en raison du fort régime de perturbation qui y règne et de l’importance du flux de propagules.  Il était ainsi estimé en 2001 que 20 à 30 % des espèces de la flore des communautés riveraines de cours d’eau étaient constituées d’espèces invasives (Planty-Tabacchi et al. 2001). L’invasion des berges par des plantes invasives joue à la fois sur la diversité spécifique de ces milieux (en la réduisant), mais également sur la diversité des différents taxons qui utilisent ces corridors dans leurs déplacements (Gerber et al. 2008). Les espèces invasives ont ainsi un impact sur le bon fonctionnement des corridors écologiques.